Psychologie cliniqueJeux de hasard et d’argent en ligne : quelles spécificités en matière de réduction des risques ?Online gambling: Which specificities for harm-minimisation tools?
Introduction
Les jeux de hasard et d’argent sont des pratiques sociales et culturelles inscrites dans une histoire très ancienne des loisirs (Adès et al., 2008). Aujourd’hui, ils tiennent une place importante dans la vie quotidienne, le temps libre ou festif. Pour le plus grand nombre de personnes, ils constituent une activité ludique et récréative. Pour d’autres, la pratique devient préjudiciable, prenant le pas sur les contraintes du quotidien et devenant le centre de l’existence pour le sujet. Ainsi, et comme le soulignait Caillois (1958), la « cloison rigoureuse » séparant l’univers des jeux de la réalité quotidienne perd de son étanchéité (« perd sa netteté nécessaire », p. 102), et « ce qui était plaisir devient idée fixe ; ce qui était évasion devient obligation ; ce qui était divertissement devient passion, obsession et source d’angoisse » (p. 103). Le jeu peut ainsi et pour certains atteindre la dimension d’une conduite addictive (Adès et al., 2008). La « passion du jeu », longtemps condamnée moralement (Belmas, 2006) tel un péché (XVIIe siècle), un vice (XVIIIe siècle) ou encore une activité transgressive (Brody, 2015), est actuellement considérée comme un trouble mental et plus spécifiquement comme une addiction comportementale (APA, 2013). Le jeu pathologique se définit alors comme un comportement persistant et répété de jeu d’argent qui entraîne des conséquences personnelles, sociales, familiales, et professionnelles négatives (Adès et Lejoyeux, 2001). Au-delà de la difficulté à établir la limite entre le normal et le pathologique quant à la pratique des jeux de hasard et d’argent (JHA), il demeure essentiel de penser à ce qui permet, au sein même de l’activité, de rester dans un usage qui n’est pas dommageable pour l’individu et qui resterait alors une « passion ordinaire » (Bromberger, 1998). L’avènement d’Internet et la modification des usages qu’il a induits oblige à repenser certains repères, mais aussi les outils permettant au joueur de ne pas franchir la limite. En effet, pendant longtemps, les JHA se pratiquaient dans des lieux de jeux bien identifiés : les casinos, les points de vente de la Française des jeux (FDJ), les points courses du PMU, les hippodromes et, dans certaines villes, les cercles de jeux. Depuis la loi « relative à l’ouverture maîtrisée à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne » du 12 mai 2010, marquant la création de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), les Français peuvent dorénavant s’adonner légalement aux JHA en ligne (du moins aux paris hippiques, aux paris sportifs et au poker). Ce qui était accessible à l’extérieur, dans un espace et un temps délimité par des contraintes extérieures, l’est désormais à domicile sans limites autres que celle que l’individu est capable de se donner à lui-même.
Les JHA sont devenus une activité potentiellement domestique (Bonnaire, 2012), accessible n’importe où et n’importe quand, du moment que l’on a accès à Internet.
Les modifications induites par les technologies de l’information et de la communication posent de nombreuses questions :
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quelles sont les conséquences, quels sont les risques ?
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l’accès aux JHA sur Internet va-t-il augmenter le nombre de personnes ayant des problèmes avec les jeux ?
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ces jeux sur Internet ont-ils un potentiel addictif plus fort que les JHA que l’on trouve dans les lieux de jeu ?
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quel est le profil des joueurs pathologiques en ligne ?
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la typologie des joueurs pathologiques doit-elle être modifiée ou tenir compte d’une spécificité des jeux en ligne ?
Les réponses à toutes ces questions sont essentielles tant pour la prévention, la réduction des risques que pour la prise en charge des joueurs de JHA en ligne. En effet, plusieurs études montrent que la prévalence du jeu pathologique est plus élevée chez les joueurs en ligne comparés aux joueurs hors ligne (Olason et al., 2011 ; McCormack et al., 2013 ; Gainsbury et al., 2013) et que les joueurs en ligne sont trois à quatre fois plus à même d’avoir des problèmes de jeu comparés aux joueurs hors ligne (Wood & Williams, 2011). Il semble donc nécessaire de prévenir un usage problématique des JHA en ligne en fournissant aux joueurs des outils lui permettant de rester dans un usage sans dommages. Penser la réduction des risques nécessite de connaître la spécificité des jeux en ligne par rapport aux jeux hors ligne. Aussi, l’objectif de cet article est d’une part de rappeler les principales caractéristiques des JHA en ligne, mais surtout de réaliser une revue de la littérature des données empiriques existantes sur l’efficacité des outils de réduction des risques disponibles et spécifiques aux JHA en ligne.
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Spécificités des JHA en ligne
Les JHA en ligne possèdent certaines caractéristiques qui les rendent à la fois attractifs, mais aussi potentiellement dangereux et plus « dangereux » voir « addictogènes » que les JHA hors ligne (pour plus de détails, voir Griffiths & Parke, 2002 ; Griffiths, 2003 ; Griffiths, Parke, Wood, & Parke, 2006 ; Bonnaire, 2012). Parmi ces dernières, certaines sont particulièrement liées au risque de développer un usage pathologique. Tout d’abord, l’anonymat qui permet de s’engager de façon privée
JHA en ligne : stratégies de réduction des risques
Le modèle de réduction des risques dans le domaine des addictions est né en Europe dans les années 1980. Ce modèle est apparu comme une alternative aux approches basées sur l’abstinence et avait pour objectif de réduire les conséquences sanitaires de l’usage de drogue (Van Wormer, 1999). Il s’agit d’un modèle intermédiaire entre le modèle moral (l’addiction est moralement réprouvée) et le modèle médical (l’addiction est une maladie). Son objectif est de réduire les problèmes individuels et
Conclusion
Il existe de nombreuses stratégies de réduction des risques ou de jeu responsable, qu’elles soient proposées par les opérateurs de jeu ou qu’elles soient mises en place par le joueur lui-même. Certaines ont montré leur efficacité, d’autres une efficacité moindre et d’autres encore n’ont pas fait l’objet d’études empiriques. De façon générale, les études restent peu nombreuses et souvent menées en laboratoire. Afin de s’assurer d’une part de la faisabilité, mais aussi de leur efficacité, il est
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références (93)
Jeux de hasard et d’argent sur Internet : Quels risques ?
L’Encéphale
(2012)Harm reduction: Comes as you are
Addictive Behaviors
(1996)- et al.
Building it better: Applying human-computer interaction and persuasive design principles to monetary limit tool improves responsible gambling
Computer in Human Behaviors
(2014) - et al.
Jeux de hasard et d’argent
Contextes et addictions. Expertise collective. Expertise collective
(2008) - et al.
Encore plus !
(2001) Diagnostic and statistical manual of mental disorders: DSM-5
(2013)- et al.
Real and laboratory gambling, sensation-seeking and arousal
British Journal of Psychology
(1984) - et al.
Behavioral tracking tools, regulation and corporate social responsibility in online gambling
Gambling Law Review and Economics
(2013) - et al.
Voluntary limit setting and player choice in the most in-tense online gamblers: An empirical study of gambling behavior
Journal of Gambling Studies
(2013) - et al.
An empirical investigation of theoretical loss and gambling intensity
Journal of Gambling Studies
(2014)