Elsevier

Pratiques Psychologiques

Volume 25, Issue 4, December 2019, Pages 441-451
Pratiques Psychologiques

Psychologie clinique
Analyse et comparaison de discours de patients douloureux chroniques durant une thérapie de soutien par opposition à l’utilisation de la thérapie Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR)Dirscourse's analysis and comparison of chronic pain patients during therapy as usual versus use of an Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR) therapy

https://doi.org/10.1016/j.prps.2018.06.003Get rights and content

Résumé

Introduction

L’utilisation de la thérapie EMDR – Eye Movement Desensitization and Reprocessing –, est novatrice dans le domaine de la douleur chronique. Si son efficacité tend à être démontré dans la littérature, son mode de fonctionnement diffère des psychothérapies classiques.

Objectif

L’objectif principal de ce travail s’est alors attaché à comparer le discours des patients durant l’utilisation de la thérapie EMDR en comparaison avec une thérapie de soutien, dans une Unité hospitalière de prise en charge de la douleur chronique.

Méthode

Quarante-cinq patients, répartis en trois groupes, ont alors bénéficié d’une prise en charge avec la thérapie EMDR (protocole standard), avec la thérapie EMDR (protocole douleur), ainsi qu’en thérapie de soutien. Tous les entretiens ont été retranscrits et analysés à l’aide du logiciel ALCESTE.

Résultats

Les résultats mettent en évidence que les classes sémantiques diffèrent entre les trois formes de thérapie, ainsi que la posture passive ou active du patient lors de la thérapie.

Conclusion

Ces résultats nous amènent des indications supplémentaires sur ce qui se passe in fine dans différents types de psychothérapies.

Abstract

Introduction

The use of EMDR – Eye Movement Desensitization and Reprocessing – being innovative in the area of chronic pain. If his efficiency as show in the specific litterature, the way its work it is really different than usual therapy.

Objective

The main objective of this work is to compare the speech of patients during the use of EMDR vs. supportive therapy in a supported unit of chronic pain to the hospital.

Methods

Forty-five patients divided into three groups received EMDR therapy (standard protocol), EMDR therapy (pain protocol) as well as supportive therapy. All interviews were transcribed and analyzed using the software Alceste.

Results

The results show that the semantic classes differ between the three forms of therapy, as well as passive or active posture of the patient during the therapy.

Conclusion

These results give us an additional insights into what happens in fine in different types of therapy.

Introduction

La douleur chronique est un problème de santé majeur qui préoccupe l’ensemble du corps médical. Néanmoins, les difficultés de prise en charge perdurent, amenant chercheurs et praticiens à envisager l’utilisation de nouvelles formes de psychothérapies. Parmi elles, certaines tendent à montrer leur efficacité dans la diminution du ressenti douloureux, comme pour l’hypnose (Castel, Cascon, Padrol, Sala, & Rull, 2012 ; Jensen, Barber, Hanley, Engel, Romano, Cardenas, Kraft, Hoffman, & Patterson, 2008 ; Violon, 2011), les thérapies cognitivo-comportementales (Eccleston, Williams, & Morley, 2009), ou la relaxation (Cottraux, 2011 ; Schütze, Rees, Preece, & Schütze, 2010 ; Turner, Mancl, & Aaron, 2006). En marge, la thérapie EMDR–Eye Movement Desensitizationa and Reprocessing (Shapiro, 1989), tend à s’imposer dans la démarche de soin. Si la thérapie EMDR a depuis longtemps prouvé son efficacité et son intérêt dans la prise en charge du Trouble de stress post-traumatique (TSPT), son usage dans la douleur chronique est plus original et suscite un intérêt grandissant. Depuis les années 2000, des recherches fleurissent à travers le monde, mettant en avant le potentiel de l’EMDR sur le trouble douloureux, à travers les études de cas de Grant et Threlfo en 2002, ou plus récemment avec Mazzola, Calcagno, Goicochea, Pueyrredon, Leston, et Savat (2009), qui démontrent que 12 sessions de thérapie EMDR chez le patient douloureux chronique apportent une efficacité significative sur le ressenti douloureux, ainsi que sur les troubles comorbides à la pathologie douloureuse telles que la dépression et l’anxiété. Dans le cadre de recherches précédentes nous avons également pu mettre en avant l’efficacité de la thérapie EMDR versus une thérapie classique sur le ressenti douloureux, les pensées et cognitions liées à la douleur, le retentissement sur la vie quotidienne ainsi que sur la diminution de l’impact traumatique de la douleur (Brennstuhl, Tarquinio, & Bassan, 2015 ; Brennstuhl, Bassan, & Tarquinio, 2017).

Il est alors apparu que l’intérêt de l’utlisation de la thérapie EMDR dans le champ de la douleur chronique n’est pas étranger à son efficacité dans le traitement du TSPT. En effet, le champ du psychotraumatisme s’élargit à d’autres expériences de vie stressantes telles que la maladie chronique, le deuil, le microtraumatisme, ou encore la douleur. Dans leur revue de 2001, Sharp et Harvey ont été les premiers à s’intéresser aux publications concernant la comorbidité du TSPT et de la douleur chronique. Les auteurs constatent un réel manque dans le domaine. Ils montrent que, 20 à 80 % des personnes manifestant un TSPT, présentent un syndrome douloureux. En effet, en termes de prévalence, ils notent une fréquence de 20 % à 80 % de douleur chronique dans les cas de traumas et 10 % à 50 % de TSPT dans les cas de douleur chronique. Ces premiers résultats fournissent la preuve d’un lien de comorbidité entre ces deux syndromes, sans en préciser les modalités d’apparition. Cependant, des auteurs nous guident à travers l’imbrication complexe de ces symptomatologies, nous permettant alors de comprendre l’amplitude de ces prévalences. La revue d’Asmundson, Coons, Taylor, et Klatz (2002) propose un modèle de vulnérabilité à travers le rôle de l’anxiété dans la compréhension du lien entre TSPT et douleur. Une revue de littérature plus récente (Beck & Clapp, 2011) confirme ce lien. L’idée est alors soit de considérer ces troubles dans un lien de comorbidité (Beck & Clapp, 2011), soit en termes de facteurs de causalité. En effet, les auteurs montrent que, bien qu’il ne fasse nul doute désormais qu’il existe un lien entre TSPT et douleur chronique, leur imbrication reste complexe. Il apparaît difficile de définir une ligne fixe de cause à effet entre l’apparition d’un trouble ou de l’autre. En fonction de la population sélectionnée ou du trouble initialement évalué, la douleur peut être à la fois un facteur participant à l’installation d’un TSPT et un facteur de maintien. Il en est de même pour le TSPT qui se trouve à la fois en position de facteur déclenchant et facteur de maintien de la douleur chronique.

Nos études précédentes (Brennstuhl et al., 2015, Brennstuhl et al., 2017) ont pu mettre en avant que l’utilisation d’un protocole standard EMDR s’avère plus efficace sur la douleur qu’un protocole spécifique douleur chronique. Or, le protocole standard EMDR est reconnu et validé comme efficace dans le traitement du TSPT. L’utilisation de ce protocole apparaît néanmoins comme plus efficace dans la diminution de la douleur qu’un protocole qui ciblerait spécifiquement le ressenti douloureux. En cela, la douleur chronique serait envisagée comme une réponse réactionnelle de même nature que le TSPT mais sur un mode de réponse différent : corporel, somatique. Sur le même modèle de développement de le TSPT suite à un évènement traumatique, la douleur chronique serait une autre réponse possible au trauma. D’autres auteurs montrent par ailleurs que toute sensation douloureuse est emmagasinée, mais peut être inhibée sur le moment, et ressortir plus tard suite à un choc ou un évènement stressant (Lamm, Decety, & Singer, 2011). La prise en charge de la pathologie douloureuse à l’aide de la thérapie EMDR semble alors être une piste de recherche intéressante. Néanmoins, l’efficacité supérieure d’un protocole EMDR standard sur un protocole EMDR douleur ou une prise en charge thérapeutique classique ne semble pas s’expliquer à travers une analyse quantitative des données. Des analyses de cas cliniques (Brennstuhl et al., 2017) nous ont permis de mettre en avant un phénomène intéressant lors des sessions de thérapie (EMDR ou classique) : la thérapie EMDR, à la différence d’une thérapie classique, permet au patient de faire des liens et de mettre un sens sur sa douleur chronique à travers des évènements de vie concomitants. Les thématiques abordées lors des entretiens cliniques ou de la thérapie EMDR semblent différer en terme de contenu. En effet, l’utilisation du protocole standard en EMDR est spécifique à la prise en charge du TSPT.

La modèle de traitement par la psychothérapie EMDR est fondamentalement orienté par le temps car il propose de travailler la problématique du patient en ciblant les évènements du passé, les déclencheurs du présent, ainsi que l’anticipation du futur. À chacun de ses temps seront définis des cibles de travail : évènements traumatiques du passé, déclencheurs actuels de la problématique et projection du futur. Il s’agit d’un protocole en huit phases, permettant de retravailler chaque cible et notamment un évènement traumatique qui n’a pas pu être digéré et intégré par l’individu. Après avoir réalisé une anamnèse mettant en exergue la problématique et les points de traitement (phase 1), des exercices de stabilisation et de régulation émotionnelle sont proposés, en tant que phase préparatoire (phase 2). L’évènement traumatique (ou cible présente ou future) qui sera abordé est ensuite évalué (phase 3), permettant de définir : l’image la plus difficile de l’évènement, la croyance négative associée (CN), la croyance positive antagoniste (CP) qui remplacera la CN en fin de traitement, l’émotion ressentie actuellement en repensant au souvenir. La validité de la cognition positive (VOC – Validity of Cognition) est évaluée sur une échelle de 1 à 7, à 1 tout à fait faux et 7 tout à fait vrai. La perturbation ressentie au moment de l’évaluation (SUD – Subjective Unit of Distress) quand le patient se focalise sur l’image la plus difficile, la CN et l’émotion, est évaluée de 0 à 10, où 0 signifie aucune perturbation et 10 la plus forte pertubation qu’il puisse imaginer. Une fois cette évaluation effectuée, la désensibilisation du souvenir traumatique est réalisée à l’aide de Stimulations bilatérales alternées (SBA), sous forme de mouvements oculaires rapides (phase 4). Le patient est invité en premier lieu à se concentrer sur l’image du souvenir, les émotions, la CN et la perturbation, puis est invité à laisser venir ce qui vient durant les SBA, sans que le thérapeute n’interfère dans le processus. L’alternance de SBA, puis de temps de pause, de respiration et de verbalisation du matériel apparu, permet un accès et une confrontation au matériel traumatique de manière sécurisée et contenue, avec l’appui et le soutien du thérapeute. Une fois que le matériel ciblé ne provoque plus de perturbation (SUD = 0), il s’agit alors d’installer la CP pour que celle ci soit ressentie comme totalement vraie (VOC = 7) et remplace la CN initiale (phase 5). Enfin, un scanner corporel sera réalisé (phase 6) afin de vérifier qu’une perturbation résiduelle ne subsiste, permettant ainsi la clôture (phase 7), et la réévaluation du travail (phase 8) à la séance suivante. L’utilisation du protocole spécifique douleur s’apparente fortement au fonctionnement du protocole standard, si ce n’est que la cible sera alors définie à partir de la douleur chronique, et que la perturbation (SUD) sera remplacée par l’évaluation du ressenti douloureux (SUP – Subjective Unit of Pain).

L’objectif de cette recherche est alors de comparer et d’analyser le discours des patients lors de l’utilisation de la thérapie EMDR appliquée au traitement de la douleur chronique, en comparant le contenu du discours des deux protocoles EMDR – standard ou douleur–face à une prise en charge classique. L’utilisation du protocole standard EMDR permettrait alors d’aborder des thématiques en lien avec les évènements de vie traumatiques, tandis que le protocole douleur EMDR n’en n’aborderait que le symptôme – la sensation douloureuse–. Enfin, une prise en charge classique aborderait des thématiques beaucoup plus hétérogènes.

Section snippets

Méthodologie

Dans le cadre de notre étude nous avons souhaité nous intéresser à des patients hospitalisés au sein d’une Unité de traitement de la douleur d’un centre hospitalier de la région Lorraine (France). La prise en charge médicamenteuse de ces patients est jugée insuffisante et montre peu d’efficacité. Les patients hospitalisés au sein de l’Unité douleur ont été orientés par leur médecin généraliste dans le cadre d’une douleur chronique suffisamment importante et résistante aux analgésiques

Corpus groupe 1 : thérapie de soutien

L’analyse du contenu des entretiens réalisés en thérapie de soutien fait apparaître deux classes sémantiques (Tableau 2).

La classe 1 apparaît comme la plus spécifique. Nous pouvons alors constater que le vocabulaire du travail et de la vie quotidienne est surreprésenté. En effet « licencié, social, médecin, sécurité, feuille, patron » apparaissent comme les plus représentés. Dans la classe 2, ce sont davantage la notion de vie quotidienne comme « travail, mari, maison, enfant ». Si ces deux

Discussion

Comme dans toute recherche nous retrouvons, ici, des limites. Une analyse de contenu avec un logiciel du type ALCESTE catégorise, filtre et normalise le discours. Ce procédé permet d’éliminer l’analyse subjective et projective du chercheur, mais une partie de l’interprétation subsiste lors de la classification sémantique. Par ailleurs, une limite important réside également dans la nature même des thérapies utilisées. En effet, en thérapie de soutien, le discours est libre mais le thérapeute se

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références (19)

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Cited by (0)

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