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Reviewed by:
  • Philosophie des pornographes par Colas Duflo
  • Christophe Martin (bio)
Philosophie des pornographes par Colas Duflo
Seuil, 2019. 312pp. €23. ISBN 978-2-02-140417-3.

Le nouveau livre de Colas Duflo s’inscrit dans le prolongement direct des Aventures de Sophie. La philosophie dans le roman au XVIIIe siècle, paru en 2013, qui proposait de s’intéresser à un vaste corpus au siècle des Lumières: celui des « romans à ambition philosophique », en examinant les différentes formes et modalités de la présence de la philosophie dans le roman de la période, ainsi que ses conséquences narratives et philosophiques (voir notre critique de ce volume dans ECF 28, n° 3 [2016]). Duflo y indiquait déjà nettement que la philosophie ne pouvant se ramener à un thème littéraire, le roman à ambition philosophique pouvait se décliner en roman noir philosophique, en roman d’aventures philosophiques ou encore en « roman pornographique philosophique » (41). Mais si la place de ces romans philosophico-pornographiques était déjà toute tracée, le paradoxe est que Les Aventures de Sophie ne leur consacrait quasiment aucune analyse. Justice leur est donc rendue dans ce nouveau livre qui démontre amplement que ce corpus méritait bien plus qu’une étude annexe ou un simple chapitre supplémentaire. Non seulement, les romans philosophico-pornographiques tels que Dom B***, Portier des Chartreux, Thérèse philosophe, Les Bijoux indiscrets, Mémoires de Suzon, ou Le Rideau levé appartiennent de droit au corpus plus vaste analysé dans Les Aventures de Sophie, mais ils posent des problèmes spécifiques et sans doute encore plus cruciaux pour notre compréhension de la philosophie des Lumières.

Si le précédent livre de Duflo invitait à se défaire d’une conception largement héritée du XIXe et du XXe siècle, selon laquelle la philosophie et le roman relèveraient de domaines séparés, il s’agit ici de renoncer à un préjugé sans doute encore plus puissant supposant que la pornographie et la philosophie appartiennent à des univers parfaitement hétérogènes, tant sur le plan de la finalité que de la légitimité. S’appuyant notamment sur les travaux de Robert Darnton, cette Philosophie des pornographes rappelle que, du point de vue de l’histoire du livre et de la circulation des textes manuscrits et imprimés sous l’Ancien Régime, les récits libertins, licencieux ou obscènes appartiennent au même ensemble que les textes philosophiques hétérodoxes: celui de la littérature clandestine, la notion d’« ouvrage philosophique » pouvant alors désigner aussi bien un essai tel que De l’esprit d’Helvétius ou les traités du baron d’Holbach qu’une fiction pornographique telle que Thérèse philosophe. Or, loin d’être marginale, cette production romanesque eut un succès considérable: Le Portier des Chartreux et Thérèse philosophe en particulier font alors partie des livres les plus demandés et leur rôle ne saurait dès lors être négligé dans la diffusion des idées philosophiques au siècle des Lumières. Car la caractéristique de [End Page 284] ces œuvres pornographiques est qu’elles intègrent très souvent au récit d’aventures amoureuses et sexuelles des dissertations philosophiques refusant les interdits religieux et moraux pesant sur la sexualité, érigeant la nature en principe de légitimation, et faisant ainsi un large écho aux discours les plus audacieux de la philosophie des Lumières.

Comme le montre parfaitement Duflo, l’entrelacement de la représentation des scènes érotiques et des développements critiques et théoriques n’a, de fait, rien de fortuit et mérite examen: il ne s’agit nullement de couvrir les ébats sexuels d’un manteau philosophique propre à les rendre plus acceptables puisque ces dissertations hétérodoxes ne sont pas moins prohibées que ces tableaux lascifs. Il ne s’agit pas non plus d’une inadvertance ou d’une maladresse de littérateurs n’ayant pas pris garde qu’à être inséré dans un récit pornographique, le didactisme philosophique risquerait d...

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